Surveillance numérique des populations: vers un « crédit social » en Europe ?
Le 16/02/2023 par Laurent Mucchielli – Quartier Général
L’Union européenne se dote peu à peu d’une législation ambiguë quant à l’instauration d’un crédit social, en dépit des grandes proclamations officielles. Depuis 2022, les municipalités de Rome et de Bologne en Italie mettent par exemple à l’essai des initiatives de crédit social, qui, incitatives et optionnelles, visent à récompenser les comportements jugés « vertueux » en matière de développement durable. Faut-il redouter l’instauration d’un système de crédit social tel que celui apparu en Chine? Quels furent là-bas les ressorts de la mise en place d’un tel système? Pourrons-nous longtemps encore nous prémunir d’une « notation sociale » des personnes ?
Par Pauline ELIE, conseillère éthique sur les données de santé à l’hôpital Lariboisière (AP-HP), doctorante en droit et philosophie au Centre Georg Simmel (UMR 8131, CNRS / EHESS) et Pierre-Antoine CHARDEL, professeur de sciences sociales et d’éthique à l’école de management de l’Institut Mines-Télécom (IMT-BS), chercheur au Laboratoire d’Anthropologie Politique (UMR 8177, CNRS / EHESS)
Jugeant et notant les actes des citoyens (bons ou mauvais), le système de crédit social instigué en Chine est en train de s’établir en Europe de manière aussi subtile et insidieuse que dans l’empire du Milieu. Certes, contrairement à l’actuelle version chinoise, essentiellement punitive et désormais érigée en système, le balbutiant crédit social des citoyens européens se veut incitatif. Or à ses débuts, la même approche gratifiante et facultative fut privilégiée par l’État autoritaire chinois. À bien des égards, ce crédit social renvoie aux caractéristiques de l’hégémonie culturelle telles qu’elles furent décrites par l’intellectuel marxiste Antonio Gramsci qui analysait les ressorts d’une domination exercée, non pas de manière coercitive, mais en intervenant sur la production des représentations et des habitudes quotidiennes. Il s’agissait par là de décrire les mécanismes de logiques de pouvoir ne disant par leur nom, en ce sens d’autant plus difficiles à contrer.
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